Octobre 2022
L’intégration de l’information provenant de différentes sources et mettant en relation des dimensions multiples servant à décrire la complexité de notre société et culture est un exercice difficile à synthétiser en une seule image. Les indicateurs composites traditionnels sont généralement visualisés à travers une succession de figures ou tableaux qui tendent à simplifier les résultats et à les déconnectés les uns des autres. Ceci ne permet pas au lecteur d’extraire, de façon intuitive et globale, l’essentiel du contenu et, plus précisément, ses dimensions interconnectées. Comment peut-on mieux intégrer la nature multidimensionnelle des phénomènes sociaux complexes et révéler au lecteur les points importants d’une étude? Les approches de visualisation moderne pourraient rendre cette tâche plus intuitive.
Cette problématique fut en partie soulevée lors de la 26ème conférence STI (International Conference on Science, Technology, and Innovation Indicators) ayant eu lieu à Grenade (Espagne), du 7 au 9 septembre 2022.
Pour la première de fois depuis la pandémie, cette conférence a regroupé en un même lieu plus de 250 scientifiques et bibliométriciens. David Campbell and Alexandre Bédard-Vallée de Science-Metrix étaient présents et ont présenté une partie de leur recherche portant sur le lien entre l’interdisciplinarité, l’autocitation et le genre.
Un moment fort de l’évènement fut une présentation par Lev Manovich, théoricien de la culture digitale, qui s’est exprimé sur la possibilité d’utiliser l’analyse de données pour visualiser des ensembles volumineux et variables de données issues de la vie et de la culture contemporaine.
En particulier, Lev Manovich a présenté son projet « selfiecity » qui examine les différents styles d’autoportraits pris dans 5 villes à travers le monde. Sur cette plateforme, un outil dynamique permet à l’usager de manipuler les images pour comparer le genre et l’âge des personnes sur les photos, en lien avec leurs postures et expressions faciales. L’usager peut ainsi examiner s’il existe des différences notables d’une ville à l’autre. Selon Mr. Bédard-Vallée, « avec cet outil, l’usager peut sélectionner au choix les attributs des autoportraits qu’il souhaite explorer en profondeur, permettant d’extraire les caractéristiques et statistiques moyennes ainsi que la distribution des données sous-jacentes ». Et à Mr. Bédard-Vallée d'ajouter, « cette approche permet une compréhension plus riche et dynamique des données comparativement aux résultats traditionnellement présentés de manière statique, et positionne l’usager au centre du processus d’analyse, lui donnant le contrôle de l’exploration des données selon ses propres intérêts. »
Ce besoin d’humaniser les données fut un thème récurrent de la conférence. Le concept de data humanism va au-delà des chiffres typiquement présentés dans des tableaux et procure une compréhension des résultats plus efficace en intégrant diverses sources d’information. Le data humanism offre à l’usager une conclusion moins figée et définitive qu’un ensemble de chiffres dans un tableau, et procure une vision plus large et potentiellement plus utile.
Par exemple, lors de la conférence, Stefanie Haustein proposa de repenser complètement le processus de présentation de données pour la science ouverte (open science) et la science biomédicale.« Plutôt que de procéder selon une approche traditionnelle en présentant les données sous forme de tableaux et de se dire ‘voici mes résultats, et donc voici ce que je présente’ », dit Mr. Bédard-Vallée, « elle a décidé de demander aux principaux acteurs dans le domaine de recherche en question ce qu’ils souhaiteraient voir, laissant ce processus aboutir naturellement à une conception d’un produit plus utile et centré sur l’usager».
Face à l’engouement pour le ‘data humanism’, Mr. Bédard-Vallée a décidé d’expérimenter ce concept pour créer des visualisations de résultats provenant de plusieurs ensembles de données complexes. Une première ébauche de ce concept est présentée ici. Cette visualisation multidimensionnelle représente plusieurs indicateurs bibliométriques couvrant les thématiques de recherche d’un des objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies. Dans cette figure, on peut apprécier plusieurs dimensions telles que la contribution scientifique de certains pays entre 1996 et 2021, représentées par les barres intérieures (l), le nombre d’articles cités dans des documents de politique à travers les années, représenté par la portion externe de la spirale (l), et l’évolution dans le temps de la collaboration internationale, représenté par les arcs (l). Les relations entre les ODD (spirales) peuvent aussi être représentées en les reliant (l) selon les productions scientifiques dont les thèmes abordés chevauchent les thèmes des ODD.
La conférence fut également une belle occasion de rencontrer des collègues en personne. Pour Mr. Bédard-Vallée, « particulièrement après ces dernières années de pandémie, avec tout ce que l’on a traversé et le manque d’interactions sociales, les gens étaient tout simplement heureux et enthousiastes de se retrouver et d’échanger face-à-face. »
Image : D'après un dessin d'Alexandre Bédard-Vallée